Clic!
L’image d’un visage plusieurs fois savouré mais jamais apprivoisé apparu sur l’écran où se reflétaient plusieurs parcelles de soleil, laissant L… bouche-bée. Elle se sentait complètement ridicule de farfouiller ainsi sur internet, espionnant incognito l’intimité de cet autre et se rendant de plus en plus mal à l’aise et insignifiante à mesure qu’elle en apprenait davantage sur son compte. L… fit défiler d’un coup d’index la longue liste de « friends » et soudain les larmes lui montèrent au visage. Elle cliqua sur un nom au hasard, atterrit sur une autre liste, cliqua encore au hasard et puis se retrouva sur la page de cet autre qu’elle connaissait aussi.
- C’est fou, le monde est petit, se dit-elle.
L… revint sur la première page, la page instigatrice de son mal être : elle qui se croyait importante, signifiante et même unique se sentit impuissante devant le bris incommensurablement odieux de ses illusions. C’est alors qu’elle prit une grave décision.
Sur un coup de tête, elle monta dans sa voiture, inspira trois fois et démarra en trombe en direction de ce visage qu’elle avait vu sur le web. Sur le chemin, ses mains moites glissaient sur le volant ou tambourinaient sur celui-ci au son d’une musique endiablée de Muse. D’habitude, leurs mélodies avaient pour effet de la calmer, mais cette fois-ci, c’était tout le contraire et elle se sentait une envie irrésistible d’aller se perdre au milieu des pistes de danse et bouger au rythme de sa détresse.
Finalement, elle arriva à destination, se gara sur le bord du trottoir, une maison plus loin que celle vers laquelle elle se dirigeait et éteignit le moteur. L… tenta de se calmer, les mains tremblantes, en se frottant les tempes et en essayant de se raisonner à rentrer à la maison, son geste étant très probablement vain et très certainement irrationnel. Sans en tirer une quelconque conclusion, elle ouvrit sa portière et sortit de voiture. Elle se dirigea vers les hauts escaliers en colimaçon de couleur saumon et les monta, un battement de cœur à la fois. Une fois devant la porte, elle dit qu’elle aurait du appeler, puis changea d’avis et se dit que la surprise serait mieux, mais retrouvant un instant sa lucidité elle rendit compte de son ridicule et commença à pleurer silencieusement en proie à un déchirent interne totalement fortuit. Elle avança sa main, leva son bras en direction de la sonnette et étira un petit index à l’ongle méticuleusement manucuré dans l’espoir de caresser peut-être un jour, ce même visage qu’elle s’efforçait d’apprivoiser sans succès.
- C’est inutile, maintenant.
Et son doigt pressa la sonnette qui résonna sourdement à l’intérieur de l’appartement.
À peine quelques secondes plus tard, un bruit de pas se fit entendre dans les escaliers à l’intérieur de la maison, et l’autre ouvrit la porte, vit L… et déconcerté la salua.
- Salut L…, quelle surprise! Je ne m’attendais pas à te voir.
Confuse de savoir dans quel embarras son instabilité l’avait emmenée, L… dit la chose la plus sensée qui lui passa par la tête et qui sur le coup lui parut tout à fait juste :
- Je…je suis venue chercher ma boîte en plastique.
- Ok, tu veux entrer. Est-ce que ça va?
- Oui, je… tu sais la boîte dans laquelle je t’ai apporté les…
- Oui, je sais. Je vais aller la chercher. Tu ne veux pas entrer? Tu es sûre?
- Oui, je. Non, merci. Je vais attendre. Je…pressée.
- Ah bon. Une minute, je reviens.
L’autre remonta les escaliers, laissant la porte grande ouverte devant laquelle L… se sentit fondre en larmes, au comble du pathétisme. L’autre revint, apportant la boîte rectangulaire au couvercle blanc.
- Merci, dit L… .
- Il n’y a pas de quoi. Merci a toi.
À cette dernière phrase, L… releva ses yeux noisette pleins de larmes, fixa l’autre, sourit et s’approcha de lui et l’embrassa.
Dans ce baiser, L… mit toute l’ardeur, toutes les illusions, tous les espoirs, elle sentit l’autre qui s’abandonna à cette caresse inespérée. Elle goûta tous les baisers qui auraient pu être et ne l’ont jamais été, toutes les caresses volatiles ou appuyées, toutes les morsures, les rires coquins, les coups de langue et les griffures dans le dos. Elle savoura dans cet unique baiser tous ses désirs inassouvis pour l’autre et toutes ses envies de lui.
Elle se sépara de lui, fit quelques pas en arrière, lui sourit à nouveau, tourna le dos et repartit.
Sur le chemin du retour, elle souriait, plus contente qu’à l’aller. Elle ne pensait plus revoir l’autre car ce baiser était le premier. Le dernier. Un baiser de début et de fin. Un adieu. Lorsque L… passa sur le pont qui la ramenait chez elle se dit : « lorsque je me réveillerai, tout ira mieux », donna un violent coup de volant sur la droite et passa par-dessus la rambarde de sécurité et sentit voler, légère.
- Tout ira mieux, maintenant.
dimanche 28 octobre 2007
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